17 novembre 2006

ARTICLE : LE ROLE RIDACTIQUE DES CONTES

Le conte est un outil didactique exceptionnel qui reste toutefois méconnu, car trop souvent victime d’idées reçues.

Les idées qui ont marginalisé le conte :

1°) « Les contes sont pour les enfants »

Dans un milieu traditionnel actif, la narration de contes a presque toujours été destinée à des auditoires d’adultes, les enfants formant un public toléré, certes, mais accidentel, sauf dans le cas des contes d’avertissement qui leur étaient spécifiquement adressés car leur fonction était avant tout éducative. Le préjugé portant sur le caractère enfantin des contes tient en partie au fait que certains d’entre eux ont été soigneusement édulcorés, infantilisés, adaptés, au point de devenir sans attrait pour les adolescent et les adultes. Il incombe donc aux enseignants (et aux conteurs) de reprendre et proposer aux apprenants des versions non édulcorées des contes traditionnels. Travailler avec un public d’adultes revient donc à vouloir rendre au conte son auditoire initial.

2°) « Les contes sont surannés »

Le conte reflète, avec plus ou moins d’insistance, des composantes humaines intemporelles. L’attitude et les sentiments des petits vis-à-vis des classes considérées comme supérieures, la quête d’amour, de richesse, de pouvoir, de bonheur, de philtres guérisseurs sont autant de thèmes que l’on rencontre dans les contes merveilleux. Le conte est intemporel ; la preuve est que l’on retrouve cette même thématique dans les histoires actuelles proposées au cinéma. De plus, sa qualité d’œuvre collective, c’est-à-dire de création simultanée à la fois par le conteur et par son auditoire, fait du conte un instrument auquel il est possible d’adapter des éléments contemporains, et qui par conséquent évolue.

3°) « Les contes ont un lexique désuet »

Ceux qui reprochent au conte d’avoir perdu son intérêt avec le temps insistent sur les mots vieillis qu’on y rencontre. Parler, par exemple, de « quenouilles » et de « fuseaux » ou encore de « bûcherons » et de « bergères » parait absurde pour certains. Le conte ne dresse pas l’inventaire des outils jadis utilisés et encore moins le répertoire des professions disparues ou en voie d’extinction. Son vocabulaire est loin d’être un obstacle à son utilisation en classe de langue étrangère et les quelques mots difficiles peuvent être remplacés par leurs synonymes ou encore décrits par des gestes.

4°) « Les contes sont faits pour être lus »



Nés et propagés dans des cultures sans écriture, les contes ont toujours été transmis oralement. Mais quel était le mécanisme qui permettait à ces peuples de se remémorer des récits parfois très longs ?

a- Conte et mémorisation

L’organisation de l’information est le facteur décisif de la mémorisation. Sans structuration, le stockage de l’information est très difficile, voire impossible. Le schéma formel conventionnel du conte, sa forme rythmée, ses clichés verbaux, ses structures énumératives sont des éléments qui facilitent sa mémorisation. Le fait que le conte est facilement mémorisable est très utile dans l’apprentissage des langues.

b- Des paysages familiers

Indépendamment de cultures ou de nationalités, l’auditoire connait ce qu’est un conte : un récit d’évènements fictifs produit dans le but de divertir, dont la fin est toujours heureuse. La structure du conte, particulièrement contraignante, peut être considérée comme archétypale : d’où cette impression de quelque chose de toujours différent mais aussi de très familier. Cette organisation rigide permet à l’auditeur de reconnaître les étapes du récit et de les rattacher au schéma narratif déjà connu dans la langue maternelle. La compréhension de la signification des éléments du conte joue un rôle déterminant dans la mémorisation. Comprendre c’est précisément intégrer l’élément nouveau à un ensemble déjà existant, c’est l’introduire dans un réseau de relations, dans une structure déjà établie.

c- Une narration rythmée

La forme rythmée des paroles du conte est un support de la remémoration dans la mesure où elle constitue une sorte d’infrastructure sur laquelle les mots viennent se greffer. C’est donc dans l’organisation phonétique de l’information que réside aussi la mémorisation. Par ailleurs, dans certains cas la technique de la rime permet de retrouver plus aisément les mots qui suivent.



d- Une fiction facile à identifier

Les clichés verbaux peuvent se situer soit au début et à la fin du conte, soit dans le corps du récit. Les formules d’encadrement (introductions ou clausules formulettes d’ouverture ou de fermeture du conte, comme « il était une fois… » ou « cric-crac, mon conte est dans le sac ») ont pour fonction principale de souligner l’aspect fictif du récit. Quant aux autres formules typiques, elles sont souvent liées à une situation ou à un personnage. Elles forment une sorte de rallonge qu’il est permis d’insérer à divers moments de la narration. Ces clichés verbaux accordent un moment de répit au conteur et lui permettent de marquer le pas tout en réfléchissant à ce qui va suivre.

e- Un classement aisé

Les structures énumératives jouent le même rôle que les clichés, mais interviennent sur la composition du conte. Ces scènes ou structures, regroupées par deux ou par trois, permettent de classer les informations. Grâce à ces multiples redondances, l’auditeur peut « récupérer » au cours de la narration un élément qu’il aurait mal saisi.

Le conte se prête particulièrement bien à l’introduction d’expressions imagées qui peuvent être aisément associées et mémorisées dans le contexte bien précis de ce type de narration.

Le conte résulte d’un travail qui associe étroitement mémoire et création. Quand on parle de mémorisation, il ne s’agit nullement d’apprentissage par cœur. Le conteur raconte pour un public et il modifie l’histoire en fonction des attentes de ses auditeurs. Il s’agit de la remémoration constructive des éléments dont il dispose. Bien sûr la part respective de l’improvisation et de la mémorisation peut varier, mais ce qui importe c’est que le conte laisse une marge étonnamment grande à la reconstruction créatrice de ses éléments.

f- La narration de contes

La compétence de compréhension s’acquiert plus vite que la compétence d’expression. Plus on écoute de contes et plus leur structure devient familière. Il est important de créer un rituel, d’accorder au conte son « moment » dans la classe, un moment d’écoute qui doit précéder celui de la production et de la création. La répétition de contes suscitera une succession d’attentes aux apprenants qui auront repéré et identifié l’organisation interne du conte. Une organisation avec laquelle ils sont déjà familiers, puisque la narration de contes renvoie automatiquement à des lieux connus de l’univers maternel. Cette structure rigoureuse du conte obligera l’apprenant, lors de la narration de contes, à en respecter l’articulation. Il ne pourra pas contourner les difficultés, mais devra se débrouiller pour utiliser au mieux tout son bagage linguistique en langue étrangère afin de ne pas abandonner son histoire en cours de route. Une telle contrainte est absente dans d’autres discours souvent produits à ce niveau, discours descriptifs répondant à des consignes du genre « racontez un film que vous avez vu récemment » ou encore « qu’avez-vous fait dimanche dernier ? »




Nous avons déjà mentionné que la thématique du conte est proche de celle de certains films. Pourtant, le conte est beaucoup plus facile à raconter qu’un film où l’image est beaucoup trop présente et il est difficile, voire impossible, de s’en dégager. Le conte, sauf quand il est adapté sous forme d’album, est une narration sans images. Il appartient à l’auditeur de se créer des images mentales qui feront partie de son univers. Et, chose très importante pour ceux qui débutent dans l’apprentissage d’une langue étrangère, les pauses, les hésitations, les silences ne sont pas bannis lors de la narration d’un conte mais fortement recommandés comme faisant partie du jeu.


g- Le conte, un outil interculturel

Quand une mosaïque de nationalités compose la population de la classe, quand on y rencontre des personnes d’âges et de formation diverses, il est difficile de trouver un domaine commun et connu de tous. De quelque culture qu’il provienne, le conte appartient à des lieux connus de l’univers maternel et permet, de par son universalité, de faire le pont entre les différences culturelles et d’établir un dialogue.

Les classes de primo arrivants ou d’élèves en grande difficulté ont souvent recours aux contes de la culture d’origine pour intégrer les élèves au système scolaire et leur permettre de progresser dans la maîtrise de la langue du pays d’accueil. À titre d’exemple, nous citons les actions menées en 2000-2001 dans deux collèges d’Avignon : « Comme outil d’apprentissage, nous avons donc choisi d’utiliser avec ces élèves la richesse de leur culture d’origine, à travers le conte oral. D’abord, la collecte des contes par les élèves auprès de leur famille permet d’impliquer celles-ci dans le monde scolaire et de créer un lien trop souvent inexistant. De plus, la reconnaissance et la mise en valeur de la culture de chacun est un puissant facteur d’intégration. Sur le plan de la langue, le travail sur le conte permet une multitude d’acquisitions et offre de nombreuses pistes d’activités. Enfin, raconter une histoire à sa classe oblige l’élève à s’impliquer et à devenir acteur de ses apprentissages. »

Si, en écoutant un conte « d’ailleurs », les élèves d’« ici » s’étonnent d’y reconnaître une histoire familière, le sentiment d’une identité commune en sera renforcé. D’un autre côté, pour ce public venu d’« ailleurs », l’intérêt porté à sa culture d’origine ne peut le laisser indifférent. C’est une façon d’être reconnu, accepté et valorisé. Et c’est justement la mise en valeur de la culture de chacun qui est un puissant facteur d’intégration et une amorce d’un dialogue interculturel.



Le conte relève du monde de l’enfance et est marqué par l’affectivité. Raconter un conte installe d’emblée une ambiance conviviale dans la classe, ambiance qui facilite la prise de parole et l’acquisition d’éléments de la langue étrangère. De plus, la régularité des structures du conte représente une forte incitation à toutes les activités de créativité (imaginer la suite du conte, le conte à l’envers, la « salade » de contes, etc. pour reprendre quelques-unes des propositions de Rodari dans sa Grammaire de l’imagination, Rue du monde, 1998) qui pourront compléter son utilisation en classe de langue étrangère.

Décidément, le conte a encore des tours dans son sac…

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